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Caisse d'œufs de blatte germanique
©Ольга Миронова

En réponse aux insecticides anti-blattes, de nombreuses femelles ont perdu leur goût pour les friandises sucrées. On appelle ce trait l’aversion au glucose. D’après une récente étude, la reproduction de la blatte s’en trouve perturbée. Cela aura-t-il un impact sur les prochaines générations d’insectes ?

Auteur : Hélène Frontier

Des chercheurs de la North Carolina State University trouvent une énigme de plus dans la saga de l’aversion de la blatte germanique au glucose. La blatte femelle qui évite les appâts sucrés sera également moins susceptible de s’accoupler avec des mâles « normaux ». Leur étude est parue dans la revue Communications Biology. Explications.

Reproduction de la blatte : du glucose en offrande lors de la parade nuptiale

Comment se reproduit la blatte ? Le processus d’accouplement des cafards est intéressant mais probablement inconnu des bipèdes. Lorsqu’un cafard mâle veut s’accoupler avec un cafard femelle, il avance ses fesses vers elle. Puis il ouvre ses ailes et libère des composés chimiques. Ce repas fait maison sort de sa glande tergale. Il s’agit d’une sécrétion qui comprend du maltose et du maltotriose (deux types de sucres), ainsi que des graisses. Des phospholipides, du cholestérol et divers acides aminés, pour être précis. La reproduction de la blatte, c’est un peu comme la Saint-Valentin, mais tous les jours !

La dame grimpe alors sur le mâle pour se nourrir de la sécrétion nuptiale. C’est alors que le mâle étend son abdomen sous la femelle et engage ses organes génitaux. Il l’attrape avec son pénis et les deux se retrouvent ainsi dans la bonne position pour la copulation. Cette parade nuptiale ne prend que quelques secondes. Si tout se passe bien, les ébats d’un cafard peuvent durer environ 90 minutes. Le mâle utilise alors un deuxième pénis pour transférer du sperme à la femelle.

Mais si tout ne va pas bien, c’est exactement à ce moment que la parade nuptiale peut « capoter », si l’on peut dire. Et de plus en plus, il semblerait que le coït des cafards se passe mal. Dans certains endroits, le phénomène contribuerait à l’apparition de populations de blattes plus difficiles à vaincre avec des insecticides conventionnels.

L’aversion au glucose interrompt la reproduction de la blatte

En effet, la salive de cafard est capable de décomposer rapidement les sucres complexes, comme ceux que l’on trouve dans le repas de parade nuptiale du mâle. Cette salive peut les transformer en sucres simples, comme le glucose. Mais si une femelle blatte est frappée d’aversion au glucose ? Eh bien pour cette femelle blatte averse au glucose, ce cadeau nuptial devient littéralement amer dans sa bouche. Et elle part avant qu’il ne puisse terminer la manœuvre.

Vous pensez peut-être : « Super ! Moins il y a d’accouplements de cafards, moins nous aurons d’infestations. » Pas si vite, déclarent les chercheurs. C’est apparemment vraiment compliqué de savoir comment le phénomène affectera la population. Et malgré les blocages, la reproduction des blattes averses au glucose continue…

Les expériences en laboratoire ont montré que les femelles sauvages, non averses au glucose, acceptent les sécrétions sucrées. En revanche, les femelles averses au glucose interrompent plus fréquemment l’alimentation en raison de leur aversion. Si elles se nourrissent d’un mâle sauvage, qui ne présente pas d’aversion au glucose, c’est encore pire. Les sécrétions des mâles sauvages se convertissent trop facilement en glucose. En revanche, les mâles averses au glucose ont des niveaux plus élevés de maltotriose dans leurs sécrétions. Le maltotriose se transforme moins facilement en glucose. Cela donne donc à ces mâles plus de temps pour commencer à s’accoupler, par rapport aux mâles sauvages.

Résumé illustrant les effets de l’aversion au glucose sur la survie et le comportement sexuel de la blatte | Nature (DR)

De plus, d’après les entomologistes, les femelles blattes averses au glucose passeraient environ trois secondes à se nourrir de la sécrétion du mâle. Le mâle de type sauvage ne répond pas en trois secondes alors que le mâle averse au glucose oui. Car oui, les chercheurs ont également constaté que les mâles averses au glucose passent plus rapidement au sexe après avoir offert leur cadeau.

Blatte, reproduction et aversion au glucose : ils survécurent et eurent beaucoup d’enfants !

Peut-être qu’un petit rappel sur l’aversion au glucose s’impose… En 1993, des scientifiques ont découvert un trait chez la blatte germanique (Blattella germanica). Certains spécimens semblaient n’avoir aucun goût pour une forme de sucre appelée glucose. C’était étrange… En effet, comme le savent tous ceux qui ont déjà lutté contre une infestation de cafards, en matière de sucreries, les cafards n’en ont jamais assez. D’ailleurs, de nombreux gels anti-blattes étaient alors composés de glucose, pour rendre les appâts les plus attractifs possibles.

Alors, d’où viennent ces nouveaux cafards soucieux de leur santé ? Il semble que nous les ayons créés par accident, après des décennies à essayer de tuer leurs ancêtres avec des poudres sucrées et des liquides empoisonnés. Les blattes les plus gourmandes ont mangé le poison et sont mortes. Mais les blattes moins friandes de glucose ont évité les pièges mortels. Elles ont survécu… et eurent littéralement beaucoup d’enfants ! Blague à part, la reproduction de la blatte averse au glucose a permis de transmettre ce trait aux prochaines générations.

Maintenant, nous observons des blattes femelles averses au glucose refuser de se reproduire avec certains mâles. Parallèlement, des preuves suggèrent que toutes ces nouvelles pressions provoquent potentiellement des changements dans la composition chimique du cadeau nuptial du mâle averse au glucose afin qu’il puisse continuer à attirer les femelles.

En effet, nous observons que les mâles peuvent modifier la composition de leurs sécrétions – produisant peut-être plus de maltotriose qui prend plus de temps à se convertir en glucose. Ou alors, ils essaient de s’accoupler plus rapidement. En bref, le trait d’aversion au glucose a évolué sous la sélection naturelle. Mais sous la sélection sexuelle, il amène le mâle à modifier sa sécrétion et son comportement sexuel.

Lire également : Résistance aux insecticides chez les blattes, une menace croissante

Suivre l’évolution de la blatte pour faire évoluer les insecticides

D’un point de vue scientifique, la saga du sucre chez la blatte germanique montre deux choses. Premièrement, les humains peuvent influencer la sélection naturelle – les cafards survivent à nos appâts anti-blattes. Deuxièmement, les humains peuvent influencer la sélection sexuelle – les cafards averses au glucose ne veulent plus s’accoupler avec des cafards qui offrent encore des collations sucrées.

Il est assez fascinant, vous en conviendrez, de voir que les humains imposent une très forte sélection aux animaux qui nous entourent, en particulier à l’intérieur de notre maison… et que les animaux réagissent non seulement par des changements physiologiques, mais aussi par des changements de comportement.

La bonne nouvelle, c’est que les fabricants d’insecticides partagent l’enthousiasme des chercheurs pour comprendre l’évolution des blattes. En effet, des études précédentes informaient que les appâts à base de glucose, de saccharose, de maltose et d’autres sucres sont ignorés par certaines souches de blattes. Et comme chacun sait, plus il y a de cafards ayant une aversion pour le glucose, plus ce trait sera transmis. Ainsi, les fabricants conçoivent des formulations performantes comme le Maxforce® Platin. Ce produit, par exemple, allie substance active, lipides et carbohydrates, qui sont des sucres complexes capables de faire face à l’aversion des blattes pour le glucose. De plus, un arôme alimentaire renforce l’appétence de l’appât.

Le pire des gels anti-blattes qu’on puisse proposer est un appât qui n’est pas mangé par les cafards. Ainsi, les fabricants d’insecticides changent activement leurs formulations anti-blattes pour s’éloigner du glucose. Peut-être que cette nouvelle étude sur la reproduction des blattes fera-t-elle un jour apparaitre de nouveaux produits sur nos étagères ?

Source : New York Time | Communications Biology

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