Dératisation

Dératisation insulaire avec le protocole INRA : éradiquer les rats au profit de la biodiversité

Ile Tintamarre, Réserve naturelle nationale de Saint Martin
©Jag Images

 La présence de rats sur les territoires insulaires peut causer des problèmes écologiques. Les territoires insulaires, où les écosystèmes sont souvent fragiles, sont particulièrement vulnérables à la présence de rats. Il est donc important de mettre en place des programmes de lutte contre les espèces invasives afin de contrôler leur population. Les méthodes de lutte doivent être adaptées aux spécificités de chaque territoire. Dans les années 90, l’INRA a développé un protocole d’éradication des rats spécifique aux territoires insulaires pour des petites îles non habitées. Ce protocole a été ensuite adapté par la société Help Sarl, toujours avec la validation de l’INRA.

Par Hélène Frontier

Michel Pascal, aujourd’hui décédé, travaillait à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA, aujourd’hui INRAE). Il avait mis au point un protocole d’éradication des rats sur les territoires insulaires dans les années 90. Son collègue Olivier Lorvelec y a apporté des améliorations dans les années 2000. Ce protocole a été utilisé entre 1994 et 2010 par l’INRA mais aussi par d’autres personnes dont Louis Dutouquet qui travaillait à l’époque au Conservatoire du Littoral. Dans les années 2010, Louis Dutouquet a ensuite mis au point le protocole HELP SARL, en partenariat avec l’INRA, et l’a utilisé depuis 2016. Les deux protocoles ont été mis en œuvre en Bretagne (également Loire-Atlantique et Manche), en Méditerranée et aux Antilles françaises. Dans ce premier article, nous allons détailler le protocole INRA.

La nécessité d’une éradication des rats sur les îles

Les premières explorations humaines ont permis la propagation volontaire ou involontaire de certaines espèces animales et végétales. Les rats, notamment le rat du Pacifique (Rattus exulans), le rat noir (R. rattus) et le rat surmulot (R. norvegicus), ont réussi à s’introduire sur de nombreuses îles par le biais des navigateurs. Les rongeurs s’invitaient dans les cales des navires. Et des colonisateurs océaniens en transportaient peut-être aussi sciemment.

Lorsqu’ils ont été débarqués sur ces îles, les rats ont souvent trouvé des écosystèmes sans prédateurs, ce qui a eu un impact sur la faune et la flore locales. Les oiseaux ont été particulièrement affectés, leurs œufs et leurs poussins étant une proie facile pour les rats. De nombreuses espèces se sont raréfiées et ont parfois disparu.

Des échecs répétés des opérations de dératisation en milieu urbain, on a conclu que la dératisation était impossible dans ce milieu. Cependant, depuis les années 1990, des expérimentations de dératisation ont été tentées avec comme objectif l’éradication complète des rats présents sur de petites îles non habitées. L’Inra a développé un protocole pour dératiser les territoires insulaires dans le but de restaurer la biodiversité, en utilisant des protocoles d’intervention différents de ceux utilisés en milieu urbain.

Expertise écologique au préalable

L’introduction d’une espèce invasive peut avoir des effets néfastes sur l’écosystème. Il est donc important de prendre en compte les conséquences d’une éventuelle élimination. Les méthodes d’élimination peuvent toucher des espèces non-ciblées ou vulnérables aux mêmes pièges ou aux rodonticides.

Pour cette raison, l’Inra et ses partenaires ont considéré la dératisation d’un îlot comme une expérience scientifique. Avant toute opération, on réalise donc un état des lieux. Les inventaires préalables permettent de déterminer les espèces les plus impactées par la présence des rats et celles qui pourraient bénéficier de leur éradication. L’hypothèse posée est souvent que l’éradication des rats permettra l’accroissement des espèces dont il contrôlait la dynamique ou la réinstallation d’espèces disparues. Chaque opération d’éradication permet de tester ces hypothèses et de s’assurer de son efficacité.

« Ce suivi écologique est indépendant de l’éradication, explique Olivier Lorvelec, mais il doit être fait juste avant puis refait un an, deux ans et cinq ans après l’éradication, pour estimer l’évolution des abondances de ces espèces. L’inventaire des micromammifères, qui font moins de 50 g comme les musaraignes, les souris, les mulots ou les campagnols, nécessite l’utilisation de pièges INRA. On positionne une ligne de 30 pièges dans chaque milieu écologique. Quelques spécimens doivent être tuées pour réaliser une identification certaine sur la base des pièces squelettiques. Quelques ratières peuvent être posées pour s’assurer de l’espèce de rat présente et avoir du matériel biologique. »

Une méthode combinant deux techniques pour aboutir à l’éradication

Le protocole INRA consiste en une opération mixte :

  • piégeage non vulnérant intensif avec des ratières Manufrance,
  • puis appâtage encadré avec appât contenant de l’anticoagulant, en utilisant des tubes en PVC, une fois que plus aucun rat n’était piégé.

La campagne d’empoisonnement est mise en place lorsque que plus aucun rat n’est capturé. Le poison est présenté de manière à ne pas être accessible aux autres animaux. En outre, le contrôle des appâts, généralement tous les deux jours, permet de savoir si les rats les ont consommés ou non. L’opération est considérée comme terminée lorsque la consommation de rodonticide a cessé. Les animaux piégés sont autopsiés pour obtenir des informations sur la structure de la population et des prélèvements peuvent être effectués pour des études génétiques, parasitologiques ou épidémiologiques.

« L’intérêt du piégeage était, à l’époque, de recueillir beaucoup de matériel biologique pour les programmes de recherche et cela demandait beaucoup de travail », précise Olivier Lorvelec.

Après la dératisation de l’île

Contrôle de l’éradication des rats

Le contrôle de la tentative d’éradication est fait un an après l’éradication. Selon Olivier Lorvelec, « le meilleur moyen de procéder est d’utiliser des lignes de ratières dans les différents milieux ».

Si l’échec est constaté, ce peut être :

  • une recolonisation depuis le continent, mais il faut mieux estimer cette possibilité avant de procéder à une éradication,
  • ou une reconstitution de la même population si quelques individus sont passés au travers.

Un nouvel inventaire après l’opération

Après l’éradication, de nouveaux inventaires sont effectués sur le site en utilisant les mêmes protocoles que l’état des lieux. Généralement, un inventaire est réalisé dans l’année suivant la dératisation pour confirmer l’absence de rats.

D’autres inventaires peuvent être réalisés à des intervalles de temps dépendant de la biologie des espèces et des questions des biologistes. Ces inventaires permettent de vérifier si les hypothèses étaient justes et de détecter des effets inattendus de l’éradication, tels que l’essor d’une espèce qui n’était pas considérée comme sensible à la présence du rat.

Consulter également : Le rat noir fuit la ville !

Les résultats du protocole INRA de dératisation insulaire

Depuis 1993, l’Inra a développé une méthode de dératisation d’îlots pour protéger les espèces locales  de l’invasion des rats. Cette méthode a été testée avec succès en Bretagne sur plusieurs îles, puis exportée vers d’autres régions du monde, telles que la Méditerranée et les Petites Antilles.

Les opérations de dératisation ont donné des résultats positifs, permettant la disparition des rats et l’accroissement de certaines espèces auparavant menacées. Des suivis post-éradication ont permis d’évaluer l’impact des opérations de dératisation et de vérifier l’efficacité des méthodes utilisées.

En outre, des prélèvements ont été réalisés sur les animaux capturés pour des études parasitologiques, épidémiologiques et génétiques. Toutefois, certains échecs ont été observés en raison d’une colonisation rapide des îlots traités à partir des îlots proches non traités, ou de la difficulté à attirer tous les rats avec les pièges terrestres.

Le protocole de dératisation développé par l’Inra est très efficace pour dératiser de petites îles non habitées (pas plus de 150 ha). Basé sur le piégeage plutôt que sur la distribution de rodonticides, il permet d’éliminer une grande partie de la population de rats avant de recourir à des produits toxiques. Ce protocole est adapté aux petites îles. Cependant, il nécessite un effort humain important pour la préparation du terrain et la mise en place des pièges et des postes d’appâtage. Quoi qu’il en soit, la dératisation des îles au bénéfice de la biodiversité est désormais possible. Elle permet aussi de comprendre les pressions exercées par les rats sur les populations animales et végétales étudiées.

Consulter également :

ÉCRIVEZ-NOUS !

 Avez-vous des nouvelles sur le secteur de la lutte anti-nuisibles que vous souhaitez partager avec nous? 

Sollicitez la rédaction :  communication@hamelin.info

Que pensez-vous de cet article?

J'aime
1
Bravo
1
Instructif
0
Intéressant
2

Découvrez aussi

commentaires clos