Des chercheurs ont étudié les préférences d’habitat du rat noir, l’espèce commensale par excellence, en périphérie de Sydney, en Australie. D’après les résultats, Rattus rattus perçoit la brousse comme un habitat plus intéressant que la ville. Des résultats qui remettent en question la gestion traditionnelle des rongeurs commensaux envahissants, qui se concentre sur les zones urbaines.
Par Hélène Frontier
Les espèces commensales dépendent étroitement des ressources fournies par les humains. Tant et si bien qu’on les considère effectivement « natives » des environnements urbains. On comprend d’ailleurs bien les phénomènes d’adaptations à l’existence urbaine. Mais on n’examine assez peu leur écologie et leurs choix en matière d’habitat.
Sommaire
Le rat noir : commensal, donc urbain ?
Partout dans le monde, de nombreuses espèces ont évolué pour vivre en étroite association avec les humains. On pense que ces espèces dites synanthropes – ou commensales humaines – dépendent largement des ressources que les humains leur apportent. Et elles se sont adaptées pour exploiter ces ressources. Contrairement à d’autres espèces qui peuvent survivre de manière opportuniste dans les environnements urbains, on pense que les animaux synanthropes occupent une niche commensale spécialisée. Ainsi, il a été suggéré que les espèces commensales sont effectivement « natives » des environnements urbains.
Quels habitats préfèreraient les rats noirs (et les commensaux plus généralement) s’ils pouvaient choisir librement? On ne le sait toujours pas… Originaire de l’Inde, le rat noir (Rattus rattus) a suivi l’exploration et le commerce humains. Son association avec l’homme est longue de plus de 4000 ans. Mais les rats noirs peuvent aussi exploiter les zones de végétation naturelle. Ils y deviennent d’ailleurs souvent une espèce envahissante importante. Cependant, quand des rongeurs indigènes excluent les rats noirs des écosystèmes (par compétition), ces derniers se limitent aux environnements bâtis par l’homme.
Les chercheurs ont donc étudié la préférence des rats noirs entre des habitats urbains et des habitats de la brousse en périphérie de Sydney, en Australie. Ces rongeurs envahissants y sont répandus. De plus, les rongeurs indigènes, tel que Rattus fuscipes, sont localement éteints.
L’hypothèse était que si l’espèce est hautement spécialisée dans une niche urbaine, on devait constater plus de rats noirs dans les habitats urbains. Alternativement, si les rats perçoivent les habitats de la brousse adjacents comme égaux ou meilleurs, alors on devait constater l’inverse.
Le rat noir et l’habitat : la sélection « naturelle »
Contre toute attente, les données de l’étude indiquent que les rats noirs sont plus abondants dans la brousse adjacente à Sydney que dans les zones urbaines. En outre, cette préférence de R. rattus pour les habitats naturels serait très constante.
D’après les données, les rats perçoivent que les habitats naturels de la brousse ont plus de ressources, comme la nourriture ou les refuges. Des ressources plus abondantes donc, mais également meilleures ! Les chercheurs s’attendaient à ce que l’exploitation de la niche commensale ait été façonnée par des adaptations aux habitats plutôt urbains. En fait, les rats commensaux semblent pouvoir facilement exploiter un plus large éventail de ressources que leur niche d’origine. Cela souligne ainsi leur potentiel invasif.
On trouve donc plus de rats dans les habitats naturels de la brousse. Cette surpopulation peut poser des risques écologiques aigus à l’avenir. Ces résultats remettent donc en question la gestion des nuisibles commensaux qui se concentre sur les zones urbaines . Ces solutions ignorent les habitats naturels car on imagine toujours que les rats noirs dépendent des zones urbaines.
Pourquoi le rat noir fuit-il la ville ?
Cette étude examine comment les espèces commensales utilisent les limites entre la ville et la campagne. Les rats urbains utiliseraient des fragments de forêt ou de parcelles de brousse périurbaine comme couloirs pour faciliter leur propagation dans de nouvelles zones. Peut-être sont-ils également généralistes concernant leur nourriture et micro-habitat. Suffisamment pour que la différence entre la ville et la brousse péri-urbaine ne les gêne pas vraiment.
Une compétition agressive de la part des rats bruns (Rattus norvegicus), qui sont très urbains, peut peut-être aussi déplacer les rats noirs. Cela expliquerait leur préférence pour les zones de brousse. Cependant, les rats bruns semblent plus limités aux quartiers du centre-ville de Sydney. De plus, les systèmes de piégeage de l’étude ont enregistré très peu de rats bruns. Une autre hypothèse ? Les paysages urbains modernes et les améliorations de l’assainissement ont peut-être supprimé de nombreux micro-habitats et des ressources que les rats exploitent traditionnellement, réduisant ainsi la qualité de la niche commensale.
L’impact de la compétition et de l’absence de concurrents sur la prolifération des rats noirs
Déterminer dans quels habitats une espèce réussira à s’implanter n’est pas toujours simple. Nous constatons ici qu’une espèce commensale archétypale a un fort potentiel d’exploitation des habitats naturels. Ainsi donc, pourquoi les commensaux les plus classiques ne sont-ils pas répandus dans la brousse ? Et pourquoi davantage de villes ne sont-elles pas des centres d’invasion pour les espèces envahissantes à l’échelle mondiale ?
Généralement, R. rattus se trouve rarement dans les grandes zones naturelles d’Australie. Il est fort probable que la concurrence avec les espèces indigènes de Rattus telles que R. fuscipes limite sa présence dans la brousse. Cette espèce est d’ailleurs absente des forêts périurbaines utilisées dans l’étude dont nous parlons ici. Il s’agit probablement d’un exemple de remplacement de titulaire. En ce cas, l’extinction locale d’un concurrent bien adapté a laissé un espace de niche vacant pouvant être facilement occupé par R. rattus.
L’absence de compétiteurs pourrait être un facteur important permettant l’incursion des rats. Cette explication est étayée par les nombreux cas où la propagation de R. rattus sur des îles exemptes de mammifères n’est pas non plus entravée par la concurrence. Il serait d’ailleurs intéressant d’explorer comment la compétition influence la capacité d’invasion des espèces commensales.
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Rat noir : un commensalisme apparent
En fin de compte, plusieurs millénaires de coexistence avec l’humain ne conduit pas nécessairement le rat noir à préférer les habitats urbains. Cette association étroite est souvent supposée dans les études écologiques. Or, les rongeurs commensaux peuvent se déplacer. Ils le font pour trouver des ressources et des environnements alternatifs à la niche urbaine fondamentale dans laquelle ils s’établissent initialement et auxquels ils sont adaptés.
Les rats noirs ont été décrits comme des « commensaux archétypaux« , fortement dépendants des humains pour survivre. Mais leur abondance en dehors des zones urbaines indique le contraire. D’autres espèces censées dépendre de l’homme, telles que le gecko asiatique (Hemidactylus frenatus), la souris grise (Mus musculus) et diverses espèces de Rattus, sont également étonnamment abondantes dans les habitats « sauvages ».
Les chercheurs suggèrent que la présence d’ennemis et de concurrents dans la brousse indigène est une clé pour limiter l’expansion. Ils estiment que dans les zones urbaines avec des communautés fauniques plus intactes, ils pourraient trouver des modèles différents.
En effet, les rats sont capables d’envahir facilement les environnements naturels en l’absence de concurrents (par exemple en Nouvelle-Zélande et en Micronésie). Il est alors possible que la restriction de nombreuses espèces commensales aux zones urbaines n’indique pas une niche commensale fondamentale. Cela pourrait plutôt refléter une niche réalisée et un cas de commensalisme apparent dépendant du contexte écologique.
En conséquence, cela soulève des questions sur la façon dont nous définissons une espèce véritablement commensale…
Source : Oikos Journal
Références : Commensal black rats Rattus rattus select wild vegetation over urbanised habitats | Auteurs : Maxim W. D. Adams, Laura S. Grant, Toby G. L. Kovacs, Stephanie Q. T. Liang, Nicholas Norris, Hannah E. Wesley, Megan M. Alessi, Peter B. Banks | https://doi.org/10.1111/oik.09671
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