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Lutte antivectorielle et spectrométrie de masse : étudier l’âge des moustiques et leur capacité à transmettre des virus

Moustique suçant le sang sur la peau humaine
©nipol
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L’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie planche sur l’avenir de la lutte antivectorielle. Dans la continuité du World Mosquito Program, Nouméa va réaliser une étude financée par l’ANSES sur 24 mois. Il s’agit d’estimer la structure d’âge des populations de moustiques Aedes aegypti à l’aide de technologies de pointe. Comment ? Dans quel but ? Décryptage…

Auteur : Hélène Frontier

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a sélectionné 33 projets de recherche en 2021. Parmi eux, une étude de faisabilité concerne la lutte antivectorielle. Elle s’intitule : Estimation de la structure d’âge des populations de moustiques Aedes aegypti par spectrométrie de masse MALDI-TOF couplée à l’intelligence artificielle. De quoi s’agit-il ?

Pourquoi étudier la structure d’âge des populations de moustiques ?

Lors d’une épidémie, ce sont les femelles moustiques les plus âgées qui sont les plus susceptibles de transmettre les virus de la dengue, du Zika et du chikungunya. Ce phénomène s’explique par le temps nécessaire au virus pour :

  • infecter le moustique,
  • se propager dans son corps,
  • et atteindre les glandes salivaires (i.e. période d’incubation extrinsèque).

En effet, c’est en grande partie dans les glandes salivaires de la femelle moustique que le virus se niche. Lors d’un prochain repas sanguin, la dame injecte à un nouvel hôte le virus qui rejoint sa circulation sanguine. Tout ce ci prend du temps, donc.

Et c’est pourquoi d’un point de vue épidémiologique, connaitre la structure d’âge d’une population de vecteurs est important. En effet, connaitre la structure d’âge d’une population d’Aedes aegypti dans une zone donnée par exemple permettrait d’évaluer le risque de transmission des virus qu’il propage.

Comment faire pour étudier l’âge des moustiques ?

Pour déterminer la structure d’âge d’une population de moustiques de terrain, il faut disposer d’un outil fiable. Or à ce jour, il n’existe aucune technique simple et rapide. Ainsi, le projet financé par l’ANSES est réalisé en partenariat avec l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie et l’université de Nouvelle-Calédonie. Il vise à mettre au point cet outil.

Pour cela, les chercheurs vont coupler la spectrométrie de masse MALDI-TOF à de l’intelligence artificielle (IA). Dans un premier temps on évaluera la structure d’âge des moustiques Aedes aegypti de laboratoire qui sont porteurs ou non de la bactérie Wolbachia. Puis on testera ensuite l’outil sur des Ae. aegypti en conditions semi-opérationnelles.

In fine, cette étude permettrait d’évaluer l’efficacité des méthodes de lutte antivectorielle conventionnelles ou plus modernes…

La Nouvelle-Calédonie et le World Mosquito Program

La Nouvelle-Calédonie est le seul territoire français d’outre-mer ayant mis en place le World Mosquito Program (WMP). Il s’agit d’un programme innovant de contrôle des arboviroses qui utilisent la capacité de la bactérie Wolbachia à bloquer la réplication virale au sein des vecteurs infectés.

L’idée est donc d’introduire la bactérie dans les populations de moustiques qui sont ensuite libérées. Ensuite, les moustiques se reproduisent avec des individus sauvages. Peu à peu, la majorité seront porteurs de Wolbachia. Leur capacité à transmettre des virus à la population sera moindre, ce qui réduira le risque d’épidémies.

Les résultats sont prometteurs. Cependant, cette méthode pourrait avoir des limites dans le futur. On ne sait pas, par exemple l’impact de Wolbachia sur l’évolution génétique des virus. On ne sait pas non plus si cette évolution peut influencer l’efficacité de la stratégie…

Ce projet est mis en place à Nouméa uniquement. Cette situation entomologique permettrait donc de mettre au point la technique de détermination de l’âge des moustiques par MALDI-TOF sur des Aedes aegypti de différents statuts, porteurs ou non de Wolbachia.

L’intérêt serait ici d’étudier la structure d’âge des Ae. aegypti porteurs de Wolbachia pour évaluer un éventuel coût entraînant une diminution de l’espérance de vie des moustiques, et par conséquent de la capacité vectorielle de ces populations.

Lire également : Lâcher de moustiques stériles par drone, l’île de La Réunion fait le buzzz…

L’avenir de la spectrométrie de masse MALDI-TOF couplée à de l’intelligence artificielle

Les chercheurs attendent beaucoup des résultats de ce projet de faisabilité. S’ils sont concluants, il sera possible d’utiliser les structures d’âge des populations de moustiques de terrain pour :

  1. évaluer le risque de transmission des arbovirus provoquant la dengue, le chikungunya et le Zika dans des zones où Ae. aegypti est présent ;
  2. étendre cette méthodologie à d’autres vecteurs comme Aedes polynesiensis ou Aedes albopictus, présents dans le Pacifique, l’océan Indien et en Europe ;
  3. évaluer l’effet de Wolbachia sur les populations d’ Ae. aegypti de Nouméa, à la suite de l’application du World Mosquito Program.

Lutte antivectorielle et spectrométrie de masse MALDI-TOF : les origines

La spectrométrie de masse MALDI-TOF a révolutionné la routine de microbiologie clinique avec l’identification des espèces de bactéries, de levures et de champignons filamenteux.

Cécile Nabet

La lutte antivectorielle est une priorité stratégique dans le contrôle des maladies à transmission vectorielle. Mais pour garantir son efficacité, il faut organiser un suivi rigoureux. La planification et le monitorage des interventions se font à partir de l’étude de la biologie du vecteur. Ainsi d’après Cécile Nabet, épidémiologiste, 3 éléments de base sont à connaître :

  1. la ou les espèces vectrices et non vectrices dans la zone considérée,
  2. la biologie et l’écologie du ou des vecteurs en rapport avec les humains,
  3. la sensibilité aux insecticides, si un contrôle vectoriel à base d’insecticides est envisagé.

Certaines espèces peuvent être vectrices de pathogènes et d’autres non. Donc l’identification des arthropodes est indispensable. La méthode moléculaire permet une identification précise des espèces. Mais cette méthode est coûteuse et chronophage. La spectrométrie de masse MALDI-TOF est un outil de plus en plus utilisé en entomologie médicale.

Dans sa thèse, Cécile Nabet explique que « la spectrométrie de masse MALDI-TOF a révolutionné la routine de microbiologie clinique avec l’identification des espèces de bactéries, de levures et de champignons filamenteux ». Cette méthode repose sur « la détection d’empreintes protéiques constituées par le spectre de masse et/ou sur un profilage protéique à la recherche de biomarqueurs ».

Depuis peu, de nouveaux outils d’exploration de données permettent une analyse plus fine des spectres générés par le MALDI-TOF. Couplé aux techniques d’analyse de données par l’intelligence artificielle, il a par exemple permis de distinguer les Ae. aegypti infectés par Wolbachia et ceux qui ne le sont pas.

 

Les appels à projets sont lancés dans le cadre du Programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR EST). Pour 2021, 13 projets portent sur les agents chimiques, dont 9 concernent les perturbateurs endocriniens.

L’Estimation de la structure d’âge des populations de moustiques Aedes aegypti par spectrométrie de masse MALDI-TOF couplée à l’intelligence artificielle est une étude de faisabilité sur 24 mois. Le budget alloué pour cette étude est de 49 966 €.

 

Sources : ANSES | Nouveaux outils protéomiques pour la surveillance des arthropodes vecteurs (thèse de Cécile Nabet)

 

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