Peur sur l’entrepôt : la gestion des IPS

C’est peu dire que les insectes des produits stockés présentent une menace économique, sanitaire et alimentaire. Cela dit, les options ne manquent pas pour traiter le problème avec, notamment l’essor de solutions plus respectueuses de l’environnement. Explications.
Sommaire
Des pertes alimentaires massives causées par les insectes des produits stockées
À l’heure où la guerre en Ukraine fait peser une menace sur la sécurité alimentaire mondiale, un quart des céréales sont perdues ou gaspillées chaque année dans le monde. Les insectes et rongeurs sont responsables d’une partie de ces pertes. La plupart de ces attaques ont lieu pendant la période de stockage des denrées.
Des pertes énormes qui peuvent inquiéter au regard de l’accroissement de la population mondiale. « D’ici 2050, on sera à peu près 10 milliards d’êtres humains. Pour nourrir toute la population mondiale, il faudra réduire les pertes. Cela pourrait représenter des millions de tonnes de sauvées chaque année », explique l’entomologiste Yann Ciesla, également gérant chez Sitona AgroExpert
Les principaux insectes des denrées stockées
La menace est multiple. En Europe de l’Ouest, le charançon est l’ennemi numéro 1. Il s’attaque en priorité aux céréales à pailles. « Il a la particularité de faire une grande partie de son cycle à l’intérieur des grains », détaille notre spécialiste. Avec sa petite trompe, il perce un grain, dépose un œuf à l’intérieur et rebouche pour que la larve se développe à l’intérieur. « Une fois qu’il a fini sa métamorphose, le charançon adulte perce à nouveau un trou pour sortir du grain. »
L’Europe du Sud, où les températures sont un peu plus chaudes, est touchée par le capucin qui, lui aussi, fait une bonne partie de son cycle dans les grains. Quant au silvain, on le retrouve dans les zones plus tempérées. Il faut aussi mentionner le tribolium : « C’est un insecte secondaire, c’est-à-dire qu’il va se nourrir des poussières, des grains cassés. Il va donc avoir un fort impact sur l’industrie de transformation des céréales », éclaire notre entomologiste. Sans oublier les lépidoptères : des papillons qui donnent des sueurs froides aux industriels de l’agroalimentaire et qui finissent trop souvent dans la cuisine des particuliers.
Impact des insectes des produits stockés sur la qualité des denrées
Les conséquences sur les produits stockés sont fâcheuses. Les insectes vont dévorer le grain et l’endommager. « La dénaturation du produit est telle que ça entraîne la destruction de palettes entières. À l’échelle nationale, ce sont des milliers de tonnes de matières premières qui sont perdues », avertit Pascal Gacel, responsable du pôle technique et formation chez LODI Group.
De plus la présence d’insectes sur des denrées alimentaires n’est pas sans conséquences sur notre santé. « Ils peuvent introduire des agents pathogènes, tels que des bactéries ou des virus, dans les produits, rendant ces derniers impropres à la consommation. Cela peut aussi provoquer des réactions allergiques chez certains consommateurs », dit David Gonçalves, directeur Agence Nord chez Environnement Services. Les chaînes d’approvisionnement sont soumises à rude épreuve. « Les insectes peuvent endommager les produits, raccourcir leur durée de conservation et augmenter les coûts de gestion », résume David Gonçalves.
Méthodes de traitement des insectes des produits alimentaires
Que faire ? « Il faut d’abord identifier les espèces parce qu’elles ne vont pas avoir le même impact sur les denrées stockées », éclaire Yann Ciesla. Il existe plusieurs méthodes : « Inspection visuelle, pièges et analyse d’échantillons de produits stockés en laboratoire », énumère David Gonçalves.
Autre innovation : les micro-capteurs de CO2 ou de température dans les produits stockés. « Plein de choses peuvent libérer du CO2 et quand on commence à avoir une élévation de température, c’est qu’il y a déjà beaucoup d’insectes donc la réponse est tardive », pondère Yann Ciesla. « Il faut aussi se poser la question du point de départ de la contamination : si un IPS apparaît, c’est que quelque chose est en train de se dégrader dans le milieu : un problème de rotation de stock ? Un problème de gestion des déchets ? Un problème de nettoyage ? » interroge Pascal Gacel.
Prévention et lutte contre les insectes des produits stockés
Le nettoyage joue un rôle central dans la gestion des insectes des produits stockés. Il est essentiel pour maintenir un environnement de stockage sain, sans avoir à recourir systématiquement à des produits chimiques. Or, le nettoyage va bien plus loin que le traditionnel coup de balai. « Le Deep Cleaning va au-delà du nettoyage de surface, en ciblant les zones difficiles d’accès où les insectes peuvent se cacher et se multiplier, comme les recoins, les conduits d’aération, et les espaces entre les équipements », détaille David Gonçalves.
Quoi qu’il en soit, une fois que la présence d’insectes a été détectée, il faut passer à l’action. Mais pas n’importe comment. Les différents univers réglementaires sont très stricts et encadrent l’utilisation des produits phytosanitaires et biocides. « La réglementation phytosanitaire s’applique de la culture à la première transformation des grains (jusque dans la minoterie). Ensuite la réglementation biocide va s’appliquer des usines de fabrication jusqu’à la distribution des produits finis », précise Pascal Gacel. «
Les produits biocides ne peuvent traiter directement les lignes de production qui seront en contact avec les produits finis afin d’éviter les résidus », ajoute Yann Ciesla. D’où l’importance de bien lire les étiquettes des produits afin de rester dans le périmètre défini par les différentes autorisations de mise sur le marché. « Le rôle des industriels (formulateur – fabriquant – distributeur) est, en effet, de fournir des solutions respectueuses des réglementations en vigueur et d’apporter des solutions adaptées aux différentes attentes des professionnels dûment formés titulaires ci-besoin d’un certibiocide et/ou d’un certiphyto », rappelle Pascal Gacel.
Traitements alternatifs et durables contre les insectes des produits stockés
Autre défi pour les entreprises spécialisées : les produits phyto disponibles sur le marché se réduisent comme peau de chagrin du fait d’un durcissement réglementaire. « Il y a 15-20 ans, on avait sept ou huit molécules et plusieurs familles d’insecticides. Dans les prochaines années, on aura plus que trois substances actives, toutes en cours de révision au niveau européen », déclare Yann Ciesla. Cela dit, des méthodes alternatives ont vu le jour pour optimiser la gestion des IPS sans avoir recours aux produits chimiques, à l’instar des traitements thermiques.
Cela consiste à monter la température de tout l’environnement d’usine entre 55 et 60 degrés. « Si on la maintient pendant une heure, on est capable de tuer toutes les espèces d’insectes, à tous les stades », dit Yann Ciesla. À condition, bien sûr d’être capable d’atteindre cette température cible dans tous les recoins de l’usine, ce qui constitue la difficulté de l’opération. « L’un des principaux avantages du traitement thermique est qu’il est respectueux de l’environnement, car il n’implique pas l’utilisation de substances chimiques potentiellement nocives. Il est particulièrement adapté aux produits alimentaires, car il ne laisse aucun résidu chimique », se félicite David Gonçalves. Même logique avec la surgélation sauf que les insectes réagissent différemment au froid selon leur espèce.
Traitement par le froid : une méthode efficace mais contraignante
Certains meurent quand on les expose 24h à -5° C, d’autres résistent des semaines à des températures de -20° C. « Il faut absolument atteindre la température cible au cœur du produit. Avec des petits contenants ça va vite. Mais ce n’est pas le cas avec des big bag », avertit Yann Ciesla.
Le dioxyde de carbone et l’anoxie : des solutions récente
Dernier arrivé sur le marché, avec une AMM qui date de 2024 : l’utilisation du dioxyde de carbone pour les produits stockés. L’avantage ? Son utilisation est compatible avec l’agriculture biologique, mais l’unité de stockage doit être parfaitement hermétique. Même logique avec l’anoxie ou la privation d’oxygène. « Là aussi, les contenants doivent être parfaitement hermétiques. Ou alors cela peut se faire dans des chambres dédiées », précise Yann Ciesla.
Une solution innovante mais coûteuse qu’on ne peut appliquer qu’à des petits volumes. Citons également les lâchers de parasitoïdes dans les produits. « Pour chaque espèce d’insecte de produits stockés, il y a toujours un ou plusieurs parasitoïdes qui sont inféodés », dit Yann Ciesla. Cela dit, les parasitoïdes ne sont pas forcément adaptés à un environnement de stockage en silo car ils ont tendance à rester en surface. « On peut aussi faire des traitements chocs à base de pyrèthre naturel (cf. article p. 20-21), un produit compatible avec l’agriculture biologique mais qui n’offre que très peu de rémanence », ajoute Pascal Gacel.
Vers une gestion intégrée des insectes des produits stockés
Les solutions ne manquent donc pas pour optimiser la gestion des IPS. Encore faut-il choisir les bonnes options. « Il faut raisonner en termes de boîte à outils pour aller chercher les meilleures méthodes pour réguler les population d’IPS et répondre aux besoins du client ainsi qu’aux attentes plus globales de protection et de préservation de nos ressources alimentaires », indique Pascal Gacel. On l’aura compris, les plans de lutte raisonnée voire de lutte intégrée font de plus en plus écho aux attentes sociétales en matière de réduction de l’utilisation des produits chimiques. Affaire à suivre.
Auteur : Nicolas ZEISLER
Source : Extrait du magazine Viva protect n.3 – Mars 2025
Contributeurs :
- Yann Ciesla – Sitona AgroExpert
- Pascal Gacel – LODI Group
- David Gonçalves – Environnement Services
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